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Les Ogiek du mont Elgon au Kenya : une communauté en première ligne de la conservation forestière
Nicole Harris, avec les contributions de Peter Kitelo, Patrick Kipalu et Kendi Borona
15 .07. 2022  
7 minutes read
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Dans le magnifique paysage de la réserve forestière du mont Elgon, du territoire communautaire de Chepkitale et du parc national du mont Elgon, qui chevauche les forestières du Kenya et de l’Ouganda, les gouvernements successifs ont eu pour habitude de délimiter les frontières des États, des comtés et des communautés de façon à exclure ou rendre invisibles les communautés autochtones Ogiek qui protègent les forêts de cette région depuis des milliers d’années.

Œuvrant en collaboration avec le Chepkitale Indigenous Peoples’ Development Project (CIPDP) (projet de développement des peuples autochtones chepkitale), une organisation locale, RRI a récemment organisé une visite visant à mettre en lumière le rôle transformateur de la conservation communautaire dans la protection des forêts riches en biodiversité du mont Elgon.

Cette visite avait pour objectif de présenter l’histoire remarquable des Ogiek lors du tout premier Congrès de l’UICN sur les aires protégées en Afrique (APAC) qui se tiendra à Kigali, au Rwanda, du 18 au 23 juillet 2022.

Ainsi, du 13 au 18 juin, j’ai accompagné mes collègues Patrick Kipalu et Kendi Borona, ainsi que deux journalistes indépendants, à Chepkitale, une communauté de chasseurs-cueilleurs isolée, située à l’intérieur des limites des « zones protégées de mont Elgon, afin d’observer la façon dont les Ogiek protègent un habitat qui abrite 400 espèces végétales et au moins 144 espèces d’oiseaux.

Voici un aperçu de ce que nous avons appris.

À gauche : Vue du mont Elgon depuis le sommet de la colline située à environ 30 km à l’ouest de Kitale. À droite : une plantation d’arbres exotiques promue par KFS. Photos : Nicole Harris/RRI.

Le savoir autochtone protège la biodiversité

Entassés dans un véhicule tout-terrain roulant vers l’Ouest sur l’une des seules routes pavées qu’il nous serait donné de voir au cours des prochains jours, nous nous sommes brièvement arrêtés au sommet d’une colline.

Cette colline, et le paysage magnifique qu’elle surplombe, appartenait autrefois aux Ogiek du mont Elgon, avant qu’elle ne leur soit volée au début du 20e siècle pendant la période coloniale. Aujourd’hui, le Service forestier du Kenya (KFS) est en train de remplacer les ressources naturelles de la région par des plantations d’arbres exotiques.

Les plantations forestières, telles que celle qui a été photographiée ci-dessus, sont fréquentes dans la région montagneuse inférieure de la réserve forestière du mont Elgon ; elles font partie du système shamba que le gouvernement kenyan, et par la suite le KFS, ont mis en œuvre sous une forme ou une autre depuis la période coloniale. Ce système controversé, également connu sous le nom de Plantation Establishment for Livelihood Improvement Scheme (PELIS) (programme d’établissement de plantations pour l’amélioration des moyens de subsistance), consiste à abattre les forêts naturelles et à les remplacer par des plantations d’espèces d’arbres exotiques importées à croissance rapide. Ces plantations sont par la suite vendues à des entreprises forestières commerciales qui abattent les arbres.

Ce n’est un secret pour personne : ces plantations forestières constituent une menace pour la faune comme pour l’environnement, dans la mesure où elles sont incapables de remplir les fonctions écologiques primordiales d’un écosystème forestier naturel et intact.

Alors que nous poursuivions notre ascension de la montagne et pénétrions dans le territoire coutumier des Ogiek, le paysage a changé soudainement : la forêt est devenue plus dense, les arbres étaient plus variés, les plantations ont complètement disparu et les bovins et les chèvres sont devenus plus nombreux. Nous avons très vite compris qu’il ne s’agissait pas là d’une coïncidence : nous étions témoins des efforts de conservation menés par les communautés.

À gauche : L’une des 2 000 ruches de Chepkitale. Chaque ruche, faite en bambou, est ensuite recouverte de ficelle et contient des rayons de miel. Un long morceau d’écorce d’arbre est placé sur le dessus de la ruche pour la protéger de la pluie. À droite : Peter Kitelo, du CIPDP, interviewé dans le territoire coutumier d’Ogiek sur le Mont Elgon. Photo : Nicole Harris/RRI.

Les espèces d’arbres exotiques plantées par le KFS ne fleurissent pas et sont préjudiciables aux abeilles de la région. À Chepkitale, les communautés ont installé et cartographié plus de 2 000 ruches dont l’activité est florissante. La production de miel est ainsi l’une des clefs de voûte de l’économie communautaire des Ogiek. Elle repose sur l’existence d’un écosystème comportant une flore variée. Aussi, les règlements de la communauté sont très stricts : seul peut être récolté le bois mort pour être utilisé comme bois de chauffe, entre autres.

La faune, notamment l’éléphant de forêt d’Afrique, ne se nourrit pas d’espèces d’arbres exotiques. Ces éléphants ont donc migré vers l’Ouest afin de vivre et de s’épanouir au sein du territoire coutumier des Ogiek. Ils s’y sentent en sécurité et y trouvent une nourriture abondante. Ces éléphants craignent de s’aventurer au sein du parc national où ils sont plus à risque de rencontrer des braconniers.

« L’histoire nous montre que nous occupons ce territoire depuis des temps immémoriaux. La biodiversité qu’il abrite est constitutive de notre identité, » a témoigné Cosmas Murunga, un aîné Ogiek, lors d’un entretien avec RRI.

« Nous voulons conserver l’intégrité de notre territoire. Nous ne cherchons pas être riches. Nous voulons être bienveillants avec nos animaux. Nous voulons respecter notre végétation. L’environnement est la fierté de notre peuple. »

 

La conservation dirigée par les communautés est un succès. Les communautés autochtones et locales entretiennent une relation unique avec la Terre qui reflète leur connexion symbiotique avec la nature; les Ogiek du mont Elgon ne font pas exception à la règle. Pourtant, au Kenya, les récits portant sur la réciprocité et la communauté sont souvent éclipsés par l’histoire coloniale du continent.

La Constitution kényane de 2010 et l’histoire de la lutte pour les droits fonciers

La constitution du Kenya de 2010 est le premier texte législatif du pays qui reconnaît les droits communautaires. Le CIPDP a joué un rôle essentiel dans l’adoption de cette constitution ainsi que dans la promulgation du Community Land Act de 2016.

Le CIPDP a été créé en 2003 et a pour mission d’aider les Ogiek du mont Elgon à regagner les droits qu’ils ont perdus pendant l’époque coloniale. En 2000, le gouvernement kényan a doublement expulsé la communauté Ogiek des terres qu’elle occupait depuis l’époque coloniale. En outre, au nom de la « conservation », il a clandestinement classé Chepkitale Trust Land, la seule terre ancestrale de la communauté détenue légalement, pour en faire une réserve nationale de gibier.

« Le CIPDP collabore avec RRI depuis près de 10 ans pour aider la communauté à regagner ses droits. Lorsque l’on garantit les droits fonciers des communautés, elles tendent à prendre soin de leurs terres durablement. Généralement, elles gèrent leurs terres de façon à protéger les ressources pour les générations futures, » a déclaré Peter Kitelo, directeur exécutif du CIPDP.

Le CIPDP a deux affaires judiciaires en attente de jugement, l’une sur le classement clandestin de Chepkitale et l’autre sur l’interprétation de l’article 63 (2) (d) (ii) de la Constitution du Kenya 2010, dont la communauté espère qu’elle rendra enfin les terres à leurs propriétaires légitimes.

« Pour la communauté, ces terres lui appartiennent et lorsque quelque chose vous appartient, vous vous battez pour l’obtenir, » a affirmé Peter Kitelo.

 

Donner une dimension mondiale aux messages locaux

La même semaine, un financement provenant du mécanisme de réponse stratégique de RRI et du Forest Peoples Programme a permis aux Ogiek du mont Elgon d’accueillir sept autres communautés autochtones du Kenya, de l’Ouganda et de la Tanzanie dans le cadre de l’Assemblée 2022 de l’Afrique de l’Est. L’objectif était de s’accorder sur les messages clés que les représentants des Ogiek, Massaï, Batwa, Aweer, Benet, Sengwer et Yaaku présenteront lors de l’APAC à Kigali au mois de juillet.

L’APAC espère pouvoir intégrer les aires protégées et de conservation d’Afrique aux objectifs plus larges du développement économique et du bien-être communautaire, et améliorer la compréhension du rôle crucial que jouent les parcs dans la protection de la biodiversité et la fourniture de services écosystémiques, deux fonctions qui sous-tendent le bien-être humain et les moyens d’existence.

« Nous avons des preuves scientifiques que les communautés locales protègent la biodiversité plus efficacement que les gouvernements et les ONG, » a affirmé Patrick Kipalu, directeur du programme Afrique de RRI.

« Pourquoi ? Parce que pour les communautés, la conservation ne constitue pas une activité à part : pour elles, la conservation c’est la vie. »

 

Nous espérons qu’en relatant les efforts de conservation fructueux des Ogiek du mont Elgon, nous pourrons attirer l’attention sur le fait que garantir les droits fonciers des communautés autochtones et locales à travers le continent est une solution viable et scientifiquement prouvée à la double crise du climat et de la biodiversité.

Cliquez ici pour voir la Déclaration de Laboot des Assemblées d’Afrique de l’Est 2022 (juin 2022 à Chepkitale) en anglais.

Pour toute question, commentaire ou demande d’interview, veuillez envoyer un courriel à Nicole Harris.

 

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