Nouveaux rapports : Les efforts internationaux contre la déforestation menacent les peuples autochtones et les communautés locales qui protègent les forêts tropicales et les réserves vitales de carbone

Dans une province reculée de RDC, une étude révèle que la REDD+ alimente les conflits sur les terres ; les bailleurs de la Banque mondiale demandent d’annuler les paiements destinés aux programmes qui menacent l’avenir de 1,8 million de personnes, dont 70 000 sont issues des communautés autochtones

PARIS (14 mars 2018) — Dans une nouvelle étude publiée aujourd’hui, des chercheurs affirment avoir identifié des problèmes majeurs relatifs à des projets de préservation de la forêt en cours dans une région fortement boisée de la République démocratique du Congo (RDC), où une décision sur les futurs investissements du Fonds de partenariat pour le carbone forestier (FCPF) de la Banque mondiale est imminente. La province de Mai-Ndombe en RDC a servi de terrain d’essai pour les programmes internationaux sur le climat conçus pour mettre fin à la destruction des forêts tout en bénéficiant aux populations autochtones et locales dont l’alimentation et les revenus dépendent des forêts, avec 90 millions de dollars déjà distribués ou engagés dans le financement climatique au sein de la province.

« Nos conclusions montrent que la RDC n’est pas encore prête pour les investissements REDD+ », explique Andy White, coordinateur de l’Initative des droits et ressources (RRI). « Le rapport analyse 20 projets existants et planifiés en RDC et conclut que les projets déjà en cours ne respectent ni les droits des populations locales, ni les objectifs de protection des forêts qu’ils s’étaient engagés à respecter. Il a été montré dans d’autres pays que la REDD+ et les autres programmes similaires de paiement ne fonctionneront que si les droits des communautés sont reconnus et soutenus par les gouvernements. »

Les projets et programmes font partie d’un effort mondial visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation tout en réduisant la pauvreté. Mais la nouvelle étude publiée aujourd’hui par RRI révèle que le fonds pour le climat, connu sous le nom de REDD+, risque d’échouer à stopper la déforestation et de nuire aux bénéficiaires visés. Pointant du doigt la faible reconnaissance des droits fonciers communautaires, la corruption et une faible gouvernance, ainsi que l’absence de consultation des communautés locales, les auteurs estiment que le transfert de fonds supplémentaires vers les programmes REDD+ de la province accentuerait les conflits et ne parviendrait pas à protéger les forêts.

Ces conclusions arrivent à un moment particulièrement critique puisque les pays finançant le FCPF de la Banque mondiale s’apprêtent à prendre une décision sur un accord d’achat d’émissions réduite qui injecterait des millions de dollars dans les programmes REDD+ de la RDC. Les bailleurs du FCPF de la Banque mondiale prévoient d’approuver l’accord d’achat d’émissions réduite avec la RDC d’ici un an – l’étape finale avant que le débloquement des fonds et le début de la mise en œuvre. La RDC, qui abrite la majeure partie de la deuxième plus grande forêt tropicale au monde, serait ainsi le premier pays à signer un accord d’achat d’émissions réduite avec la Banque mondiale dans le cadre de la REDD+.

« Si le programme au Mai-Ndombe est approuvé sans garantie pour le respect des droits des populations locales, cela constituerait un dangereux précédent pour la REDD+ et aggraverait une situation déjà mauvaise », estime Alain Frechette, chercheur et directeur d’analyse stratégique à RRI. « Des droits fonciers autochtones et communautaires solides et une bonne compréhension de l’identité du ou des propriétaire(s) du carbone forestier sont des conditions essentielles pour que le financement climatique atteigne ses objectifs de réduction de la pauvreté et de protection des forêts. »

Le rapport révèle aussi que les projets en cours (comme ceux financés par Wildlife Works Carbon, Novacel, le WWF et le Forest Investment Program) n’ont pas impliqué correctement les communautés dans leur gouvernance et n’ont pas prévu de partager les bénéfices avec elles. Les auteurs suggèrent que le manque de mesures légales de protections et de responsabilisation du système actuel pourrait détourner les bénéfices de la REDD+ – légalement et illégalement – au profit du secteur privé et autres, avec peu d’incitation pour soutenir les populations forestières ou locales.

Un deuxième document publié aujourd’hui par RRI analyse les cadres juridiques de 24 des 50 pays en voie de développement se préparant à participer au marché mondial du carbone. Il révèle que seuls 5 d’entre eux ont établi des cadres nationaux légaux pour réguler le commerce du carbone. Jusqu’ici, aucun des 24 pays n’a mis en place de moyen de partage des bénéfices de la vente des marchés du carbone avec les communautés forestières locales, malgré les preuves que les meilleurs protecteurs des forêts sont les populations forestières elles-mêmes.

« Il est essentiel que les 17 pays préparant des législations relatives aux droits sur le carbone – tout comme les autres pays sur le point d’intégrer le marché du carbone – protègent et appliquent les droits des populations forestières », insiste Alain Frechette. « On risque sinon le déplacement de populations, des violences et la déforestation qui sont habituellement liés à l’extension de l’agro-industrie et à l’exploitation minière. »

L’étude sur la RDC, Mai-Ndombe : Est-ce que le laboratoire REDD+ profitera aux peuples autochtones et aux communautés locales ?, est la première à analyser les 20 projets de financement climatique en cours et planifiés dans la province, où vivent 1,8 millions de personnes et qui abrite 10 millions d’hectares de forêt et la plus grande zone humide au monde d’« importance internationale ». Au total, 8% du carbone tropical forestier du monde se trouve dans les arbres de la RDC.

« Les communautés dépendent des forêts pour vivre et pour leurs moyens de subsistance – surtout les femmes rurales », explique Chouchouna Losale, coordinatrice adjointe chargée de programme pour la Coalition des femmes leaders pour l’environnement et le développement durable en RDC. « Cependant, ces projets ont été développés à Kinshasa avant d’être partagés avec les communautés, qui n’ont donc pas participé à leur élaboration et ne les ont pas approuvés. Pour aboutir, ces projets doivent inclure les communautés qui ont géré ces forêts pendant des générations. »

Les projets actuellement en cours en RDC, bien qu’ils prévoient de transformer des anciennes zones d’exploitation forestière en des zones de conservation et qu’ils payent les locaux pour planter des acacias sur une portion de savane dégradée, sont minés par les conflits et la mauvaise gestion. Le rapport montre que ces problèmes sont dus à une faible gouvernance publique et à des engagements insuffisants par rapport aux normes internationales. Le comité directeur national de la REDD+ ne s’est pas réuni depuis sa formation en 2012. Les organisateurs du projet ont souvent suivi les orientations exigeant des mesures de protection et la consultation des communautés locales, mais ont négligé de les mettre correctement en œuvre.

Alors que les détails du mécanisme REDD+ sont toujours en discussion au sein de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), plus de 50 pays en développement ont lancé des programmes pour intégrer le marché du carbone. La REDD+ est la seule solution pour protéger la forêt conformément à l’accord de Paris, elle est aussi incluse dans de nombreux plans nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

« La REDD+ a été créée à la fois pour mettre fin à la déforestation et pour profiter aux communautés locales – pourtant les projets actuels au Mai-Ndombe ne remplissent pas ces deux objectifs », affirme Marine Gauthier, un des auteurs principaux du rapport sur la RDC. « Les pays s’engageant dans la REDD+ doivent garantir les droits fonciers des peuples autochtones et des communautés locales. C’est fondamental pour inverser la crise de déforestation et parvenir à des bénéfices sur le long terme qui, pour les protecteurs des forêts, n’ont que trop tardé. »

Le rapport détaille la façon dont les projets en RDC ne parviennent pas à arrêter les causes principales de la déforestation. Les auteurs estiment que pour réussir, le pays devra donner la priorité à la résolution des conflits liés à la terre, au respect des droits des communautés locales et des peuples autochtones et à la participation directe de ces communautés aux programmes REDD+.

« C’est principalement grâce à la population du Mai-Ndombe – dont le revenu médian n’est que de 0,24 dollar par jour – que la deuxième plus grande forêt tropicale au monde est encore intacte. Mais cette réussite a attiré dans la province ceux qui veulent profiter du carbone, ainsi que les entreprises forestières et les compagnies pétrolières », explique Solange Bandiaky-Badji, directrice du programme Afrique et du programme sur la parité entre hommes et femmes de RRI. « Le respect par la RDC de ses engagements internationaux sur les droits humains, en particulier sur les droits de tenure des peuples autochtones et des communautés locales, est un point de départ pour la réussite de tout financement climatique ou pour l’avancement des initiatives de développement. »

La province de Mai-Ndombe, située à l’ouest du pays, est officiellement devenue une province en 2015, 15 ans après le traçage de ses frontières à travers les forêts de RDC par le gouvernement national, et un an après la mise en œuvre du code forestier de la RDC. Ce code forestier reconnaît le droit des peuples autochtones et des communautés locales à détenir des zones forestières s’étendant jusqu’à 50 000 hectares. Au Mai-Ndombe, les communautés de Mushie et de Bolobo ont demandé un titre de propriété sur 65 308 hectares de terres, mais seuls 3 900 hectares leur ont été légalement reconnus.

Sur la même période, plus de 90 millions de dollars ont été engagés dans 20 projets REDD+ dans la province. Il était attendu que les quelque 73 000 autochtones vivant au Mai-Ndombe seraient parmi les bénéficiaires de ces initiatives.

Dans la seconde étude, les chercheurs de RRI révèlent que peu de pays se préparant à participer à la REDD+ ont développé les cadres légaux et réglementaires requis pour garantir que ces programmes tiennent leurs promesses. Selon le rapport Incertitude et opportunité : Le statut des droits sur le carbone forestier et les cadres de gouvernance, en l’absence de gouvernance en place, on ne sait pas vraiment qui détient les droits légaux sur le carbone.

« Sur les 24 pays étudiés, seuls le Brésil, le Costa Rica, l’Equateur, le Pérou et le Viêtnam ont mis en place des cadres légaux nationaux pour réguler le commerce du carbone », affirme Alain Frechette. « Et dans ce groupe, seuls le Brésil, le Costa Rica et le Pérou ont aussi établi des définitions légales pour les droits sur le carbone, prouvant aux autres pays le potentiel existant pour clarifier ces droits. »

Les auteurs préviennent que le manque de clarté ouvre la voie à des conflits majeurs sur les ressources naturelles et menace de fragiliser les droits coutumiers des peuples autochtones et des communautés locales sur leurs terres et leurs ressources.

« Et après plus d’une décennie d’engagement, le concept de droits sur le carbone reste englué dans des ambiguïtés légales – distinct des droits fonciers et forestiers – même si des droits clairs sont essentiels à un système qui récompense financièrement ceux qui protègent les forêts », poursuit Alain Frechette.

Les scientifiques estiment que les forêts et les « autres solutions scientifiques naturelles » représentent jusqu’à 37% de la solution globale nécessaire d’ici 2030 pour maintenir la hausse de la température mondiale en-dessous de 2°C – l’objectif énoncé dans l’accord de Paris sur le climat. Un nombre croissant d’études montre que, quand leurs droits sont reconnus et protégés, les communautés autochtones et locales sont incomparables dans leurs rôles de protectrices des forêts tropicales. On reconnaît de plus en plus le rôle essentiel joué par les populations forestières et les forêts qu’elles préservent face au changement climatique, alors que les scientifiques soulignent le manque de technologies de capture du carbone pouvant être développées facilement.

« En RDC et partout dans le monde, les conflits liés à l’agriculture, l’exploitation forestière, l’élevage, l’exploitation minière et la conservation vont grandissant », explique le coordinateur de RRI Andy White. « Au lieu de donner des moyens aux peuples autochtones, aux communautés et aux femmes des communautés forestières, les programmes REDD+ au Mai-Ndombe ne respectent pas suffisamment les droits des populations locales et échouent à protéger les forêts. »

« Mais tout n’est pas perdu. Les pays finançant le FCPF ont l’opportunité de différer ce projet jusqu’à ce que les droits des communautés soient respectés et que le gouvernement montre ses progrès sur la reconnaissance de ces droits, ou de l’annuler totalement si la RDC ne corrige pas la situation. Il n’est pas trop tard. Reconnaître les droits fonciers communautaires et impliquer les communautés locales garantirait que cette immense expérimentation en cours dans les forêts tropicales lointaines devienne un succès, débloquant tous les bénéfices provenant de la force des forêts et de leurs protecteurs. »

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L’Initiative des droits et ressources (Rights and Resources Initiative ou RRI, en anglais) est une coalition mondiale composée de 15 partenaires, 7 réseaux affiliés, 14 membres internationaux associés et plus de 150 organisations collaboratrices internationales, régionales et communautaires engagée dans l’action en faveur des droits fonciers des peuples autochtones et des communautés locales sur les forêts et les ressources. RRI mobilise les capacités et l’expertise des membres de la coalition pour promouvoir la sécurisation des droits locaux sur les terres et les ressources et pour favoriser des réformes progressistes des politiques et des marchés. Pour plus d’informations, consultez : www.rightsandresources.org/fr.