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Au Gabon, les communautés Massaha plaident en faveur d’une conservation gérée par la communauté
Patrick Kipalu, directeur du Programme Afrique (RRI); Michelle Sonkoue, facilitatrice pour l’Afrique (RRI); et Alex Ebang, président de NADA au Gabon

Les communautés Massaha du Gabon sont en train de documenter la riche biodiversité conservée dans leurs territoires ancestraux afin de démontrer le pouvoir de transformation de la conservation menée par les communautés. Pourront-elles aider l'un des pays les plus boisés du monde à conserver 30 % de sa biodiversité à l’horizon 2030 ?

25 .10. 2024  
10 minutes de lecture
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La forêt communautaire des Massaha, dans la province de l’Ogooué-Ivindo, au nord-est du Gabon, est riche en diversité écologique et abrite un vaste réseau de villages, d’animaux, d’insectes, d’arbres et d’espèces végétales indigènes qui, ensemble, constituent les écosystèmes naturels de la forêt. Les Massaha maintiennent des pratiques anciennes et sacrées fondées sur leurs croyances culturelles et spirituelles. Ces pratiques permettent une utilisation durable des ressources naturelles pour leur subsistance, ainsi que le transfert de connaissances ancestrales par le biais d’initiations et de festivals, et la protection de leurs lieux de culte. Plus important encore, elles garantissent une régénération naturelle continue des forêts et des écosystèmes de la région, ainsi que du patrimoine collectif de la communauté.

Mais aujourd’hui, les moyens de subsistance des Massaha ainsi que la flore et la faune locales sont de plus en plus menacés par l’exploitation forestière et le braconnage. Une forte augmentation de l’exploitation forestière par des entreprises étrangères au cours de la dernière décennie a fait des ravages dans les forêts du pays.

Avec le soutien de l’association Nsombou Abalghe-Dzal (NADA) et de l’Initiative des droits et ressources (RRI), la communauté se propose de créer et gérer légalement une nouvelle zone conservée s’étendant sur 11.300 hectares au sud de la rivière Liboumba et de la forêt communautaire des Massaha. Cette zone est appelée Ibola dja bana ba Massaha (la réserve des enfants de Massaha).

A travers ce projet financé par la Bezos Earth Fund et dont la mise en œuvre a commencé en 2023 par CLARIFI, le mécanisme de financement de RRI pour les initiatives des communautés autochtones, afro-descendantes et locales en matière de climat et de conservation, les Massaha espèrent protéger leur biodiversité territoriale contre les activités d’exploitation minière et forestière en utilisant leurs propres connaissances traditionnelles.

Même si le cadre juridique du Code Forestier gabonais ne reconnaît pas encore formellement les aires conservées par les communautés, les Massaha espèrent qu’en démontrant le pouvoir collectif de la conservation menée par les communautés, leurs actions pourront devenir un modèle pour d’autres mesures efficaces de conservation par zone (AMCEZ) au Gabon et ailleurs.

Que comprendre par AMCEZ et pourquoi le Gabon en a-t-il besoin ?

Les AMCEZ sont un outil de conservation relativement récent qui peut aider à atteindre l’objectif de 30 % fixé par le Cadre mondial pour la biodiversité. La biodiversité mondiale étant en chute libre, les pays ne peuvent tout simplement pas continuer à compter uniquement sur les zones protégées pour enrayer cette perte. Les AMCEZ reconnaissent les zones conservées qui soutiennent la biodiversité indépendamment de leur objectif ou de la superficie ciblée ; et comme exemple patent on peut citer les terres et les eaux qu’utilisent et gèrent les peuples autochtones et les communautés locales pour la chasse, la pêche et les pratiques culturelles, tout en conservant la nature.

La couverture forestière représente plus de 80 % de la superficie du Gabon. En 2020, 28 % des écosystèmes marins du pays étaient conservés et 21 % de ses écosystèmes terrestres protégées d’une manière ou d’une autre. Pour rappel, le Gabon est également signataire, avec 60 autres pays, du Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal, qui vise à conserver 30 % de la biodiversité mondiale à l’horizon 2030.

Grâce au projet CLARIFI, les communautés Massaha ont déjà contribué à réduire de manière significative la dégradation des forêts et la déforestation causée par l’exploitation forestière industrielle en collectant et en documentant des données, en menant des consultations avec des agences gouvernementales et d’autres parties prenantes clés, et en lançant une cartographie participative de leur territoire ancestral. Depuis janvier 2023, elles plaident également pour la réforme et la mise en œuvre de politiques en matière de conservation et d’utilisation des terres en faveur des aires conservées par les communautés. Toutes ces actions contribueront à la réalisation par le Gabon de l’Objectif 3 du Cadre mondial pour la biodiversité.

De plus, l’association NADA collabore avec le ministère chargé de la faune et des aires protégées pour réfléchir sur des stratégies et politiques nécessaires à la reconnaissance légale de deux nouvelles catégories d’aires protégées au Gabon : les aires conservées par les communautés et les zones de chasse communautaires. La forêt proposée par la communauté Massaha est le premier modèle expérimental d’aire conservée par la communauté reconnue par le gouvernement gabonais.

Une fois adoptée, la loi reconnaissant officiellement les aires conservées par les communautés et les zones de chasse communautaire contribuera à la reconnaissance de millions d’hectares d’aires conservées par les communautés au Gabon.

« Ce processus est un atout majeur qui peut aider le gouvernement à mettre en œuvre sa politique nationale visant à préserver 30 % de la biodiversité mondiale à l’horizon 2030, » a déclaré Alex Ebang, Président de NADA.

Le projet a mobilisé les membres de la communauté pour démontrer l’efficacité de la conservation menée par la communauté en collectant des données sur la biodiversité, l’anthropologie, la société et l’économie de leurs territoires ancestraux. Ces données révèlent une biomasse élevée dans la région, avec une moyenne de 378,40 mg par hectare. Cela signifie qu’en 2023, chaque hectare de forêt avait une capacité de stockage de 172,55 millions de grammes de carbone par hectare.

Les membres de la communauté ont également identifié une grande diversité d’espèces sauvages, notamment 24 espèces différentes, dont plusieurs étaient auparavant considérées comme éteintes dans la région et figurent sur la liste des espèces en danger critique d’extinction de l’UICN, comme le léopard illustré ci-dessous. Parmi ces espèces, on peut citer entre autres, l’antilope dormante, les perroquets sauvages gris, les crocodiles nains, les singes à nez blanc et le pangolin géant.

Source : Caméras de surveillance installées par la NADA dans la zone des Massaha au Gabon, 2023.

Après la collecte des données, les Massaha et le personnel de la NADA ont organisé des consultations avec le gouvernement gabonais, représenté par le ministère chargé de la faune et des aires protégées, afin de démontrer les effets positifs de leurs approches de conservation fondées sur les droits. Ces consultations ont été suivies d’une cartographie participative des territoires Massaha et d’une validation de toutes les cartes obtenues par les principales parties prenantes lors d’assemblées communautaires. Les membres de la communauté ont également proposé un zonage de leurs aires cartographiées ainsi que la création d’organes communautaires de gouvernance foncière et forestière pour aider à gérer ces aires.

Impacts

Plus important encore, le zonage effectué par les Massaha au cours de leur cartographie foncière a permis de faire connaître la conservation fondée sur les droits comme une approche efficace. Cela a également renforcé leur plaidoyer pour la fin de l’accaparement de leurs terres coutumières. En fait, grâce à la surveillance locale effectuée par les Massaha, qui alertent l’administration forestière sur les activités d’exploitation forestière, une entreprise détentrice d’un permis d’exploitation forestière sur le territoire des Massaha s’est abstenue de mener de nouvelles activités d’exploitation forestière sur ce territoire depuis 2023.

La méthodologie de cartographie participative utilisée par les Massaha dans le cadre de leur processus de délimitation est également en cours d’extension et est recommandée par le gouvernement dans le cadre d’une série d’actions visant à reconnaître plusieurs parcs nationaux proposés dans le nord-est du Gabon, y compris autour de Baï de Momba dans le département de l’Ivindo et au nord du parc national des Plateaux Batékés.

Parmi les autres succès majeurs du projet, on peut citer :

  • Dans le territoire Massaha, les femmes, les hommes et les jeunes sont plus solidaires que jamais, unis dans la préservation de leur patrimoine ancestral pour les générations présentes et futures. Ils ont adopté des technologies modernes pour surveiller la biodiversité, telles que le bio-monitoring, l’installation de caméras de surveillance, l’utilisation du GPS pour la géolocalisation et d’autres techniques de collecte de données pour évaluer le stockage du carbone dans leurs forêts.
  • Le projet a également permis de sensibiliser le grand public quant à l’importance de la protection des forêts par les communautés. Les enseignements tirés du projet ont aidé le gouvernement gabonais à entreprendre des réformes juridiques du cadre actuel de gestion des zones protégées du pays en faveur d’une conservation gérée par les communautés elles-mêmes.
  • Le projet a également renforcé les relations entre les communautés Massaha et les principaux acteurs nationaux et locaux de la conservation, notamment le Ministère des eaux et forêts, l’Agence des parcs nationaux, l’Institut de recherche en écologie tropicale (IRET), l’organisation Panthera et d’autres. Il a également permis à la NADA de s’établir en tant qu’organisation communautaire pionnière dans la promotion des aires conservées par les communautés et des AMCEZ au Gabon.

Aucune de ces réalisations n’aurait été possible sans les femmes Massaha qui ont apporté leur concours, de manière courageuse et formidable, à la défense des droits des communautés. De nombreuses femmes ont suivi une formation sur la collecte de données forestières et participent régulièrement aux patrouilles communautaires. Lors des assemblées communautaires, leur contribution à la conservation motive souvent les hommes et les incite à mener des activités de surveillance de la forêt.

Participants à un atelier visant à documenter les anciens et les nouveaux villages dans le cadre d’un exercice de cartographie des territoires autochtones et des zones préservées des communautés Massaha. Province de l’Ogooué Ivindo, Gabon. Crédit : NADA.

Quelle est la suite ?

Les Massaha ont fait d’énormes progrès dans leur lutte pour protéger leur forêt contre l’exploitation forestière industrielle, mais leur combat pour la conservation est loin d’être terminé. La surveillance écologique, les patrouilles communautaires pour identifier les infractions et la collecte de données supplémentaires sur la biodiversité de la forêt sont essentielles pour poursuivre ce combat.

Voici quelques étapes au-delà de la reconnaissance officielle des terres que le projet doit entreprendre pour que les communautés puissent poursuivre leur mission :

  • Pour les communautés Massaha et la NADA, il s’agit notamment de surveiller les activités d’exploitation forestière illégales menées par des entreprises qui ne sont plus autorisées sur les terres communautaires, et de former davantage de membres des communautés, en particulier les jeunes, afin d’assurer le transfert générationnel des connaissances traditionnelles en matière de méthodes de conservation.
  • Le projet doit également s’efforcer à améliorer les moyens de subsistance des communautés, notamment en restaurant les zones dégradées afin que certaines espèces devenues rares, telles que les champignons sauvages et les plantes médicinales, puissent revenir sur les terres.
  • Pour le gouvernement gabonais, qui a déjà initié une réforme du Code Forestier gabonais et qui est favorable à la reconnaissance légale des aires conservées par les communautés, la prochaine étape devrait consister à accroître la mobilisation des communautés dans la collecte et la documentation de données supplémentaires et dans l’élaboration d’un plan de gestion des aires conservées par les communautés.
  • Enfin, les leçons tirées de l’expérience des Massaha au Gabon doivent inciter les donateurs et les responsables en charge du climat et de la conservation investis dans la biodiversité mondiale à renforcer leur soutien et leur financement en faveur d’initiatives qui renforcent la conservation menée par les communautés comme investissement à moyen et à long terme.

La création d’un laboratoire de recherche spécialisé dans la recherche scientifique sur les zones communautaires protégées à Massaha est la voie à suivre,” a déclaré Modeste Ndongoabendje, un leader communautaire dans la communauté Massaha.


Pour tout commentaire ou question, veuillez envoyer un courriel à Patrick Kipalu.

Photo de couverture : Participants à un atelier visant à documenter les anciens et les nouveaux villages dans le cadre d’un exercice de cartographie des territoires autochtones et des zones préservées des communautés Massaha. Province de l’Ogooué Ivindo, Gabon. Crédit : NADA.

 

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