La promulgation de la loi sur les droits fonciers du Liberia en 2018 a lancé une nouvelle ère de réformes des droits fonciers communautaires dans le pays. La loi est entrée en vigueur après une longue histoire de dépossession des terres au détriment des communautés autochtones et locales et après deux guerres civiles brutales, dont les principales causes sont liées aux luttes de pouvoir pour les terres et les ressources naturelles. La réforme foncière et la justice ont toujours été des piliers essentiels à une paix durable au Liberia, et cette loi vise à jouer un rôle central dans cet effort.
À ce jour, cette loi est l’une des plus progressistes en Afrique en matière de droits fonciers. C’est aussi la première législation à reconnaître la propriété coutumière des terres au Liberia. Cette loi garantit aussi explicitement les droits des femmes à posséder des terres et à participer aux processus décisionnels relatifs à la gouvernance foncière.
Cependant, malgré les avancées obtenues par cette victoire législative en faveur des communautés rurales du Liberia, il reste des lacunes dans l’éducation des populations locales—hommes comme femmes—quant à son utilisation, afin que sa pleine mise en œuvre devienne une réalité.
Évaluer l’impact de la loi sur les femmes dans les communautés
Alors que l’agriculture et la foresterie occupent une place importante dans l’économie du Liberia, l’accès et le contrôle des femmes sur les terres ont toujours été limités, bien qu’elles constituent la majorité des travailleurs agricoles et forestiers du pays. C’est dans ce contexte que le collaborateur de RRI SESDev a commencé à examiner de manière critique la façon dont le nouveau cadre juridique du pays a eu un impact sur les droits fonciers et les moyens de subsistance des femmes.
Avec le soutien de RRI, SESDev a évalué les changements intervenus pour améliorer les moyens de subsistance des femmes dans le district de Vahun du comté de Lofa, au nord du Liberia, depuis la promulgation de la loi en 2018. Grâce aux données recueillies dans le cadre de 17 groupes de discussion (11 avec des femmes et six avec des hommes) et de 13 entretiens avec des informateurs clés, cette évaluation a mis en évidence le rôle clé joué par les chefs coutumiers vis-à-vis des droits fonciers des femmes, tels que consacrés par les lois statutaires, afin qu’ils soient pleinement réalisés, protégés et exercés par les femmes. Cette étude a également évalué le rôle que ces droits ont joué dans l’amélioration des moyens de subsistance des femmes dans les communautés.
Les chefs coutumiers dans un rôle d’agents du changement
Dans le district de Vahun, en accordant aux femmes des portions de terres coutumières pour qu’elles puissent cultiver des cultures commerciales comme le cacao, le palmier, le café et la banane—cultures autrefois réservées aux hommes—les chefs coutumiers sont devenus des acteurs clés de leur émancipation économique. Dans le passé, les chefs n’accordaient jamais de terres aux femmes des communautés sans l’approbation de leurs maris. Cette pratique est en train de changer, ce qui se traduit pour les femmes par une amélioration de leurs revenus et de nouvelles opportunités en termes de moyens de subsistance.
Bien qu’il faille beaucoup de temps pour que les habitudes culturelles changent vraiment, cet exemple du district de Vahun représente une avancée significative pour la justice foncière et les droits des femmes. Joseph*, un leader local du district explique :
S’accrocher à nos traditions n’a pas été de bon augure pour nous, les chefs et les anciens. Grâce à l’éducation sur les droits fonciers, nous avons essayé de créer un espace pour donner aux femmes des droits à la terre. Les hommes avaient l’habitude de discuter des questions foncières dans la brousse, en invoquant le diable de campagne pour faire peur aux femmes, car c’est ainsi que nos ancêtres avaient l’habitude de les traiter [1]. Mais aujourd’hui, cela a changé avec la (nouvelle) loi qui fait que les femmes et les hommes ont les mêmes droits à la terre.
La meilleure sensibilisation aux dispositions de la loi concernant les droits fonciers des femmes a même, dans certains cas, fait évoluer les membres masculins de la famille. Membre de la communauté qui a participé aux groupes de discussion féminins, Adama Dunor, raconte :
En tant qu’enfants, nous héritons des terres de notre père. J’ai décidé de planter du cacao sur une partie de ces terres. Chaque année, lorsque mon mari travaille à la ferme, nous plantons du cacao après avoir récolté le riz. Quand mon frère aîné a vu que notre ferme s’agrandissait et devenait très productive, il a voulu m’écarter de ces terres. Un jour, nos animateurs communautaires (mobilisateurs) sont venus dans la communauté pour parler des droits fonciers des femmes et mon frère était présent à la réunion. Lorsqu’il nous a lu la loi, mon frère a compris que j’avais moi aussi des droits sur les terres et aujourd’hui, il me soutient davantage et m’encourage à faire plus. Maintenant, je peux même planter des palmiers.
Les mobilisateurs communautaires auxquels fait référence Dunor sont des membres sélectionnés au sein de la communauté pour s’assurer que les réunions sont bien annoncées à l’avance et comprennent des femmes, des jeunes et des aînés.
L’évaluation de SESDev a révélé que de plus en plus de femmes s’impliquent dans la gouvernance foncière. Par exemple, défiant les normes culturelles et les préjugés systémiques, une femme est désormais coprésidente du comité de gestion des terres communautaires de sa communauté.
Les normes en matière d’héritage restent un défi pour les femmes
Malgré ces transformations positives, l’accès des femmes à la terre reste un défi dans le cadre de l’héritage. Il est important de noter que les systèmes de croyances culturelles et coutumières sont profondément enracinés et qu’il y a souvent des résistances contre les lois progressistes au Liberia, ainsi que dans d’autres régions d’Afrique. Une femme de ces communautés, Julia*, raconte son expérience vis-à-vis des lois sur l’héritage :
L’héritage des terres est une préoccupation majeure pour moi en tant que fille. Les filles n’héritent pas de la terre de leur père comme le font les fils. Mon père m’a raconté que, selon notre tradition musulmane, une femme est censée recevoir une part des biens de son père lorsqu’elle atteint l’âge du mariage. Mais ce qu’il m’a dit n’est pas ce qui se passe vraiment.
Hawa Vandi, un autre membre de la communauté, explique :
Mon père m’a refusé le droit de planter du cacao sur ses terres au motif que les femmes sont des biens et qu’à ce titre, elles ne peuvent pas posséder de biens. Après avoir travaillé le sol, planté, ramassé et vendu nos récoltes, nos maris peuvent exiger que nous leur donnions l’argent parce que les femmes n’ont pas de droits sur la terre.
Même si la loi libérienne de 1998 sur l’égalité des droits dans le cadre du mariage coutumier —également connue sous le nom de « loi sur l’héritage » —offre une certaine sécurité aux femmes après le décès d’un conjoint ou un divorce, elle a été mal appliquée depuis son adoption en 2003. En fait, la plupart des habitants des zones rurales, hommes comme femmes, ignorent son existence.
La phase II du projet de SESDev sera axée sur la sensibilisation des membres de la communauté et des chefs coutumiers du district de Vahun à la loi sur l’héritage. SESDev espère que cette intervention permettra de mieux faire connaître cette loi et d’obtenir le soutien des autorités traditionnelles pour continuer à faire progresser les droits fonciers des femmes. SESDev prévoit également de soutenir les coopératives de femmes afin de renforcer leurs structures de gouvernance et de s’assurer que leurs activités génératrices de revenus soient diversifiées.