Prise en otage pendant deux ans par un pouvoir législatif aujourd’hui en crise face à des accusations de corruption, la loi sur les droits fonciers visant à sécuriser les droits des populations locales sur leurs forêts avait donné de l’espoir à toute une région
De le Groupe de travail sur les droits fonciers composé d’organisations de la société civile
MONROVIA—(14 juillet 2016) Dix-huit organisations influentes de la société civile libérienne avertissent aujourd’hui que les efforts pour parvenir à une paix durable sont en péril, menacés par l’échec du pouvoir législatif libérien à adopter une loi longtemps promise reconnaissant les droits des communautés rurales sur leurs terres coutumières.
Notant le rôle de droits fonciers non sécurisés dans l’alimentation de la violence qui gangrène le Libéria et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, le Groupe de travail sur les droits fonciers au Libéria, composé d’organisations de la société civile, a publié un communiqué pressant le pouvoir législatif de passer la version de la loi sur les droits fonciers qui lui a été transmise en 2014.
« Ne pas reconnaître les droits de millions de Libériens sur leurs terres coutumières met en péril la paix et la sécurité, et pourrait entraîner un retour des conflits qui ont dévasté notre pays pendant des décennies », peut-on lire dans le communiqué. « Si le pouvoir législatif ne passe pas la version 2014 de la loi sur les droits fonciers avant la suspension parlementaire d’août, elle pourrait être reportée après les élections – un nouveau gouvernement prend ses fonctions en 2018 – faisant tomber la loi dans l’oubli indéfiniment. »
Toutefois, d’après le communiqué, le Groupe s’inquiète encore plus du fait qu’il faille adopter la bonne version de la loi. Élaborée avec la consultation des communautés locales et de la société civile, la version 2014 de la loi sur les droits fonciers a été bloquée pendant deux ans par un organe législatif qui est maintenant en proie à des accusations de scandales et de corruptions.
La loi n’a pas été rendue publique depuis qu’elle a été soumise au pouvoir législatif en 2014, ce qui a suscité des inquiétudes sur des possibles retraits en coulisses de dispositions clés, et a anéanti les espoirs d’une solution longtemps attendue visant à assurer au Libéria un avenir en paix.
« Le Libéria a été salué comme un chef de file en matière des droits fonciers en Afrique de l’Ouest, mais il ne reste plus beaucoup de temps au pouvoir législatif pour passer cette étape cruciale et tenir les promesses faites au peuple libérien. J’ai peur que, si la loi ne passe pas, ou passe sans les dispositions clés assurant les droits des communautés, le pays fasse marche arrière », prévient Solange Bandiaky-Badji, directrice en charge de l’Afrique au sein de Rights and Ressources Initiative. « Il y a tant d’espoir aujourd’hui au Libéria, mais si ses responsables politiques tentent d’alimenter le développement en offrant les terres communautaires au plus offrant, le prix à payer sera encore une fois l’instabilité et le conflit. »
La plupart des Libériens n’ont pas de droits légaux sur leurs propres logements et fermes. Lors des dernières décennies, le gouvernement a accordé des concessions forestières, minières et agricoles sur près de 40% du pays, ignorant les communautés qui vivent souvent sur ces terres. Une étude de TMP Systems pour Rights and Resources Initiative a révélé que des communautés étaient établies sur l’ensemble des 237 concessions minières et agricoles du Libéria, qui couvrent presque 40 000 km2.
« L’accaparement des terres au Libéria a de fait transformé des citoyens en des réfugiés dans leur propre pays », dénonce Ali Kaba de l’Institut du développement durable (Sustainable Development Institute). « Nous ne pouvons pas continuer dans un État où les logements et les fermes des gens peuvent être vendus à leur insu ou sans leur accord et où ceux qui résistent s’exposent à la violence. »
On observe un lien entre conflit et droits fonciers précaires sur l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Dans 10 des 12 États en état de fragilité étudiés par Rights and Resources Initiative, 99,9% des terres étaient la propriété soit du gouvernement soit du secteur privé. Une autre étude révèle que les conflits sur les droits fonciers coutumiers ont contribué à la plupart des conflits armés (trois exceptions sur plus de trente conflits) qui ont touché l’Afrique entre 1990 et 2009.
Des différends portant sur les terres et les ressources naturelles liés à la propriété coutumière faisaient partie des causes structurelles du prolongement de la guerre civile au Libéria qui a entraîné la mort de centaines de milliers de personnes. Avec la loi sur la commission foncière de 2008, le gouvernement libérien a reconnu que « tous les problèmes concernant les terres au Libéria devaient être résolus afin d’assurer une paix durable et la stabilité, et pour maintenir une paix si difficilement obtenue après tant d’années de guerre civile ». C’est une idée dont la présidente Ellen Johnson Sirleaf se fait souvent l’écho.
Toutefois, les allégations de corruption et le manque de transparence sapent la confiance envers le gouvernement libérien. L’inculpation d’acteurs-clés du pouvoir législatif, ainsi que le fait que les législateurs libériens et les membres de l’exécutif ont, en coulisses, négocié et modifié la loi sur les droits fonciers, renforce l’incertitude quant au fait que la version 2014 de la loi soit restée intacte.
La version 2014 a été soumise au pouvoir législatif libérien sous les applaudissements de la communauté internationale. La loi devait permettre de reconnaître les droits de millions de Libériens sur leurs terres coutumières et devait servir de modèle pour les pays de la région, eux-mêmes engagés dans leurs propres réformes foncières.
Certains experts estiment que 71% des terres du Libéria étaient détenues par le biais de droits de jouissance coutumiers. Ils considèrent que la reconnaissance des droits coutumiers serait ainsi bénéfique pour la majorité de la population, tout en contribuant à prévenir l’accaparement des terres, à augmenter les salaires, à réduire la famine et à soutenir le développement durable et l’atténuation du changement climatique.
Dans leur communiqué, les personnalités de la société civile estiment que faire avancer la loi sur les droits fonciers de 2014 consoliderait l’héritage de la présidente Ellen Johnson Sirleaf, qui a publiquement soutenu la loi mais n’a pas encore réussi à la faire passer au Congrès.
« Les droits fonciers précaires ont entraîné conflits et guerres à travers la région », explique James Yarsiah de Rights and Rice Foundation. « Le Libéria est le premier pays à mettre en avant une solution viable. En 2014, j’étais fier des progrès que nous avions accomplis. Maintenant, j’ai peur que ces progrès soient perdus pour de bon. C’est à notre pouvoir législatif qu’il incombe de mettre en oeuvre cette solution, ou de plonger les citoyens de ce pays dans des années d’incertitude et de violence. »
Le Groupe de travail sur les droits fonciers composé d’organisations de la société civile comprend les organisations suivantes : la Fondation sur les droits et le riz (Rights and Rice Foundation, RRF), l’Institut du développement durable (Sustainable development Institute, SDI), des organisations alimentaires et agricoles, le Conseil national de la société civile du Libéria (National Civil Society Council of Liberia, NCSCL), l’Union nationale du charbon du Libéria (National Charcoal Union of Liberia, NACUL), Search for Common Ground (À la recherche d’un terrain d’entente), la Fondation pour la Sauvegarde de l’avenir (Save My Future Foundation, SAMFU), la Fondation pour les initiatives communautaires (Foundation for Community Initiatives, FCI), la Fédération de la jeunesse libérienne (Federation of Liberian Youth, FLY), le Secrétariat des ONG féminines du Libéria (Women NGO secretariat of Liberia, WONGOSOL), l’Association des radios communautaires du Libéria (Association of Liberia Community Radio, ALICOR), la Plateforme féminine des ressources naturelles (Natural Resource Women Platform, NRWP), l’Alliance pour un développement rural (Alliance for Rural Development, ARD), les Programme des militants ruraux des droits de l’homme (Rural Human Rights Activists Program, RHRAP), PARLEY, le Réseau des syndicaux d’agriculteurs (Farmers Union Network, FUN) du Libéria, la Voix des sans-voix (Voice of the Voiceless, VOV), le Mouvement de la réforme au Libéria (Liberia Reform Movement, LRM).
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