Victoria Tauli-Corpuz, rapporteuse spéciale de l’ONU sur les droits des peuples autochtones, explique avoir observé une hausse globale de la criminalisation et de la violence envers les peuples autochtones.
« Il y a un lien direct entre le respect des droits collectifs sur les terres, les territoires et les ressources et les solutions dont nous avons besoin pour résoudre les problèmes du changement climatique, de l’érosion de la biodiversité et de l’érosion culturelle », a déclaré la rapporteuse spéciale de l’ONU sur les droits des peuples autochtones Victoria Tauli-Corpuz, le mois dernier lors de l’Instance permanente sur les questions autochtones de l’ONU.
Chaque année, l’Instance permanente rassemble des peuples autochtones, des gouvernements, la société civile et des universitaires à New York pour discuter des défis et des opportunités auxquels font face les peuples autochtones à travers le monde. L’Instance rend ensuite compte auprès de l’ONU et prodigue des conseils sur les façons dont les Etats membres peuvent améliorer la protection des droits des peuples autochtones.
Le thème de cette année était « Les droits collectifs des peuples autochtones sur les terres, les territoires et les ressources ». Les leaders autochtones, venus des quatre coins du monde, ont noté l’impact fondamental des droits garantis sur leurs vies et leurs moyens de subsistance, ainsi que sur l’avancement du développement durable et la mitigation du changement climatique.
Des études montrent que lorsque les droits fonciers des autochtones sont sécurisés, les taux de déforestation sont plus faibles et le stockage du carbone est plus élevé. Victoria Tauli-Corpuz a expliqué que les endroits où les droits fonciers des autochtones sont respectés, « sont aussi les endroits où nous voyons des écosystèmes qui sont mieux conservés et protégés ». Les droits sécurisés ont aussi d’importantes conséquences en termes de sécurité alimentaire, de réduction de la pauvreté et de développement durable.
Le rapport final (version provisoire) a souligné ces contributions essentielles, mais a aussi mentionné la lente reconnaissance des droits des autochtones dans le monde ainsi qu’une tendance inquiétante à la criminalisation et à la violence envers les défenseurs autochtones des droits humains.
Les peuples autochtones et les communautés locales revendiquent de façon coutumière plus de 50% des terres du monde, mais ne disposent de droits reconnus que sur 10%.
L’Instance a recommandé aux Etats d’incorporer la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones à leurs législations afin de réduire cet écart et d’élaborer des politiques pour réellement mettre en pratique ces droits.
Victoria Tauli-Corpuz a insisté sur le fait que « se concentrer sur l’aspect collectif de ce droit est extrêmement important. C’est exactement là que les normes internationales font face à des défis sur le terrain. » Dans certains cas, les systèmes légaux reconnaissent seulement des droits individuels, ou les gouvernements ne parviennent pas à délimiter les terres et territoires autochtones.
« L’accaparement des terres par les entreprises privées a des liens avec la dépossession, les violations des droits humains, les conflits et même à certains endroits avec l’extinction des peuples autochtones », a dénoncé Kundan Kumar, directeur du programme Asie de RRI lors d’un événement avec la FAO, en marge de l’Instance permanente. « Nous devons protéger ces terres, dans l’intérêt des peuples autochtones, mais aussi dans notre intérêt à tous. »
Là où les droits ne sont pas sécurisés, les peuples autochtones sont plus vulnérables face à la pauvreté, aux chocs climatiques et aux déplacements involontaires – et les forêts qu’ils protègent sont plus vulnérables face à l’exploitation et la déforestation.
« Nous connaissons les énormes pressions exercées par les entreprises d’extraction, les projets d’infrastructures, l’agriculture à grande échelle, les barrages hydroélectriques et même les efforts de conservation qui ont mené à la dépossession et au déplacement des peuples autochtones », a déclaré la présidente de l’Instance permanente Mariam Wallet Aboubakrine pour résumer les discussions.
Lorsque les peuples autochtones défendent leurs terres coutumières ou s’élèvent contre les violations de leurs droits, ils sont souvent confrontés à la violence. Dans certains cas, ils sont désignés comme des criminels ou des terroristes par les Etats. Le gouvernement philippin a récemment qualifié de terroristes de nombreux militants autochtones de longue date, dont Victoria Tauli-Corpuz elle-même, ainsi qu’une dirigeante du Groupe principal des peuples autochtones, Joan Carling.
Lors d’un événement annexe portant sur la protection des défenseurs autochtones des droits humains, Joan Carling a dénoncé une décision visant à « mutiler le mouvement autochtone dans le pays, car le gouvernement a l’intention de céder nos terres et territoires aux investissements étrangers pour l’exploitation minière, l’agrobusiness, les projets énergétiques, les concessions forestières et les plantations commerciales. »
Ces problèmes ne sont pas propres aux Philippines. Selon Global Witness, 200 défenseurs des droits humains ont été tués en 2016, et 197 en 2017. Jusqu’à présent, 40% des victimes sont des autochtones.
La criminalisation des militants autochtones est encore plus répandue. « J’ai constaté une hausse mondiale » de la criminalisation et de la violence envers les peuples autochtones, a déclaré Victoria Tauli-Corpuz dans son rapport à l’Instance. Suite aux nombreux rapports sur la criminalisation et la violence qu’elle reçoit du monde entier, elle prépare cette année son rapport thématique sur ces atteintes envers les peuples autochtones. « Je n’aurais jamais imaginé être moi-même un des exemples de ces attaques », a-t-elle ajouté.
Face à ces défis, les membres de l’Instance permanente ont pressé les gouvernements de les voir comme des alliés dans la lutte pour un monde en paix, plus équitable et durable. « Il ne peut y avoir de développement durable sans respect, protection et application des droits humains », a déclaré Joan Carling.
Lors de son discours de clôture, Mariam Wallet Aboubakrine a estimé qu’« il est de notre responsabilité de laisser à nos enfants et à leurs enfants un monde sain et durable ».