Les Peuples Autochtones et les communautés locales détiennent des droits coutumiers sur de grandes étendues de terres en Afrique (selon une étude, près de 80% de terres en Afrique Sub-Saharienne sont détenues ou utilisés par les communautés locales), mais ces communautés n’ont de droits de possession légalement reconnus que sur à peine 3% des terres, comme le montre une étude de l’Initiative des Droits et Ressources (RRI). La précarité des droits fonciers peut conduire à des conflits susceptibles d’avoir des effets considérables sur les moyens de subsistance des communautés, sur l’environnement et même sur les bénéfices des entreprises. Des recherches publiées au cours de l’année par RRI et TMP Systems montrent que le déplacement des communautés de leurs terres constitue la principale cause de disputes entre communautés et entreprises, entrainant ainsi des troubles, des arrêts de travail, une perte de profit et même la violence dans certains cas.

Les commissions foncières à travers le continent sont chargées de résoudre ces questions épineuses. Et même si plusieurs gouvernements cherchent à trouver un équilibre entre le respect des droits et la promotion des investissements, cela est uniquement possible là où les terres communautaires sont clairement délimitées et légalement reconnues comme telles. Par conséquent, tous ces deux aspects revêtent une importance vitale et ne constituent pas de tâches mineures, particulièrement dans des environnements où les commissions foncières rencontrent des difficultés d’ordre financier, politique, économique, ou autres.

Au cours de l’année écoulée, des représentants de commissions foncières africaines avaient exprimé le souhait d’échanger des expériences avec leur collègues à travers le continent afin d’en tirer parti. A cet effet, RRI et l’Initiative sur les Politiques Foncières de l’Union Africaine (LPI) ont co-organisé en juillet 2017 à Accra au Ghana un atelier de trois jours regroupant les représentants de commissions foncières des quatre coins du continent. RRI a eu à travailler avec plusieurs gouvernements et cadres de haut niveau, mais jamais avec un si grand nombre au même moment. La rencontre a vu la participation de 36 représentants venus de 14 pays d’Afrique Subsaharienne, en présence du Dr Janet Edeme, Chef de la Division de l’Economie Rurale et de l’Agriculture à la Commission de l’Union Africaine et de Joan Kagwanja de LPI.

La rencontre a démarré avec un état des lieux dans les différents pays et a donné l’occasion aux participants de partager des expériences et perspectives dans leur pays respectifs. Les expériences échangées allaient de la réussite des enquêtes sur les territoires villageois et de la certification foncière en Tanzanie, aux difficultés relatives à la sécurisation des droits fonciers communautaires des communautés pastorales au Niger, en passant par les retards dans la délivrance des certificats de propriété foncière coutumière en Ouganda, et la complexité de l’immatriculation des certificats fonciers en Côte d’Ivoire. L’atelier a amorcé un exercice d’échange entre les délégués venus de tout le continent qui ont rarement la chance de partager des stratégies et opinions.

Le deuxième jour, nous avons embarqué à bord de deux bus pour des visites à Accra, avec une moitié des participants en visite à la communauté Gbawe Kwatei, et l’autre à la communauté Kwabenya. Je faisais partie de ceux qui ont rendu visite à la famille Gbawe Kwatei dont les terres datent du 16ème siècle. On a eu droit à un accueil riche en tambours et danses, et eu la possibilité de poser des questions aux membres de la communauté. Ainsi, nous avons appris comment les anciens ont transféré les pratiques en gestion foncière à un comité de gestion foncière constitué de leur progéniture; mais également les péripéties dans la résolution de disputes au niveau local, le partage de revenus, et les fonds de développement communautaire ; et même les questions compliquées telles que l’exécution de contrats de bail. Il s’agissait exceptionnellement de visiter des terres gérées par les communautés elles-mêmes dans un cadre urbain, et cela nous a amenés à prendre davantage conscience de la nécessité de notre travail.

Les questions posées par les représentants de commissions foncières venus d’un si grand nombre de pays ont mis sur la table un éventail ahurissant de difficultés sur le plan géographique, environnemental et sociopolitique. Elles nous ont cependant rappelé les défis communs que rencontrent les pays à travers le continent. Il reste beaucoup à faire, d’après les participants, pour identifier, reconnaitre et protéger les droits des Peuples Autochtones et les communautés locales, et plus de ressources doivent être mobilisées pour le renforcement des capacités en gestion foncière. Les participants se sont également accordé que la résolution de conflits et la décentralisation des institutions de gestion foncière vers les communautés rurales constituent des étapes essentielles dans la résorption de l’écart entre les droits des communautés et ce que les gouvernements reconnaissent formellement.

Les témoignages des membres de la communauté avec lesquels nous travaillons, et les recherches menées par RRI et d’autres montrent qu’il reste beaucoup à faire pour sécuriser les droits fonciers des communautés autochtones et locales. A cet effet, tous les représentants présents à la rencontre, venus de tout le continent, ont élaboré des « plans de retour au travail » où ils ont dégagé les orientations pour la concrétisation de ces engagements ambitieux. Au bout du compte, RRI n’a jamais regroupé des représentants venus d’un si grand nombre de pays en Afrique pour un atelier, dont le résultat final aura été un consensus inattendu atour d’un engagement renouvelé pour faire avancer la sécurisation des droits fonciers des communautés autochtones et locales à travers le continent.

Lien De Brouckere est la Directrice adjointe pour la région Afrique de RRI.